Surnommé « the brute » par Duke Ellington et ses musiciens, et « the frog » (la grenouille), par d’autres collègues, le saxophoniste ténor Ben Webster pourrait évoquer le batracien par la configuration de ses yeux et de ses paupières ; la comparaison s’arrête là. En ce qui concerne son autre surnom, il faut avouer que les manières rudes de notre homme, surtout lorsqu’il se livrait à quelques excès de libations, le justifiaient de temps à autre. Pour autant, la profonde nature de Ben Webster, on la trouvera dans la façon exquise dont il fait siennes les ballades, cet authentique romantisme enrobé de tendresse dont il enrichit les mélodies de sa sonorité unique. Laissons-nous fondre sous ses accès de vibrante sensualité et goûtons aussi les plaisirs masochistes de de cette roborative virilité que le saxophoniste étale à l’envi sur les morceaux enlevés. Les faces présentées ici relèvent incontestablement de la période la plus constructive et la plus aboutie du saxophoniste ; apprécions-en ses implacables vertus, finalement beaucoup plus complémentaires que contradictoires.