“La première phrase du roman de Melville est célèbre : Call me, Ismahel, appelez-moi Ismahel. Ismahel, c'est le narrateur de Moby Dick celui par qui nous apprenons l'incroyable aventure qui va pousser le capitaine Achab, le commandant du Péquod, un navire baleinier basé à Nantuckett, à retourner toutes les mers pour retrouver le cachalot blanc qui lui a emporté la jambe, et assouvir ainsi sa vengeance. Le moins qu'on puisse dire, c'est que sa vengeance ne fut pas terrible, du moins pour Moby Dick, car pour le capitaine rancunier et son équipage, en revanche, ce sera la fin de tout. Tous sauf un périront. Il fallait en effet un rescapé pour témoigner. Moby Dick, avant de raconter la lutte à mort entre un vieux capitaine névrosé et un cachalot blanc sur lequel il reporte toute sa rage et à qui il fait porter le poids du mal, c'est dÌabord l'histoire d'un jeune homme qui rêve de vivre la grande aventure de la chasse à la baleine, laquelle ne durait jamais moins de trois ans quand on en revenait. Moby Dick, c'est d'abord, comme Don Quichotte, l'histoire d'une passion, qui va se révéler dévorante. C'est aussi un roman d'apprentissage où tous les signes sont interprétés dans le sens d'une malédiction programmée. Du roman de Melville nous avons choisi (Denis Deprez et moi) de conserver ce désir du héros de ne pas se détourner de son rêve, et son regard de témoin sur la folie qui gangrène le coeur et l'esprit d'un homme prêt à tout sacrifier pour satisfaire son obsession. Mais ce n'est plus Ismahel qui raconte, c'est nous qui le suivons dans ses découvertes et rencontres successives : New Bedford, ses auberges de baleiniers, Nantuckett, Quiequeg, ce curieux harponneur tatoué venu des îles qui va brouiller ses repères de puritain de la côte est, le Péquod, ce rafiot en bout de course sur lequel ils choisissent mystérieusement d'embarquer, Achab qui en vrai star se fait attendre jusqu'à la moitié de l'ouvrage et enfin tout en haut de l'affiche, plus star encore, l'éclatante blancheur de Moby Dick, dont nous savons maintenant qu'elle n'est plus l'apanage des anges.” - Jean Rouaud.