Le Caire, capitale jadis resplendissante, aujourd'hui délabrée.
Une multitude désoeuvrée déambule tranquillement dans un chaos de voitures qui semblent n'obéir à rien. Attablé à une terrasse de café, Ossama, voleur de son état ? pas un voleur légaliste comme n'importe quel banquier, mais un modeste voleur aux revenus aléatoires ? guette sa proie : un type arrogant qui s'agite dans l'espoir d'attirer l'attention de son chauffeur. Trois minutes plus tard, le type est délesté de son portefeuille en croco, dans lequel Ossama trouve une lettre qui compromet à la fois le type au portefeuille (promoteur véreux mouillé dans un génocide immobilier ? cinquante morts sous les décombres d'un de ses immeubles) et le ministère des Travaux publics.
Devenu " par décret divin " dépositaire d'un scandale de niveau ministériel, Ossama ne sait comment faire exploser cette bombe. Par l'intermédiaire de son maître Nimr ? qui lui a appris le métier ?, il rencontre le lettré Karamallah, un homme qui vit dans le cimetière avec les milliers de sans logis installés là sans rien demander à personne. Et cet homme sage, très amusé par la lettre mais persuadé qu'elle n'a rien d'une bombe ? le banditisme des hautes sphères étant une péripétie communément admise ?, trouve un moyen " plaisant " de l'utiliser. Un moyen qui démasque, dans un grand rire salvateur, la face ignoble et grotesque du pouvoir ? et toutes les couleurs de l'infamie.
Amoureux du Caire, Golo rêvait de dessiner la ville à travers les romans du grand écrivain égyptien Albert Cossery ? rêve réalisé en 1991 avec Mendiants et Orgueilleux, et aujourd'hui avec Les Couleurs de l'infamie.
Les Couleurs de l'infamie est une adaptation fidèle du roman éponyme, Golo ayant conservé au maximum les dialogues savoureux de l'auteur et l'élégance de son langage, joliment soutenus par la chaleur et la vivacité du dessin. C'est aussi une belle rencontre, Cossery ayant fait confiance à Golo et l'ayant laissé entièrement libre, tout en répondant aimablement à la moindre de ses questions.
Cet hommage de Golo à Cossery ? " un homme libre " ? est aussi une balade dans l'âme d'une ville, avec des personnages irrésistibles (y compris les rôles secondaires, comme le père d'Omassa) qui cultivent une philosophie artisanale tout à fait réjouissante ? cet humour très spécial, fait de dérision et de joie de vivre, qui tient lieu de résistance aux habitués de la débrouille.
Cet album est doublement réussi. En tant que bande dessinée, originale, drôle et tendre, et en tant que mise en appétit : il nous donne envie, si ce n'est déjà fait, de découvrir Albert Cossery, le " vagabond céleste ".