Publiée en 1937, La symphonie de la peur est l’un des derniers sommets de l’âge d’or du livre illustré français, qui révéla dans l’entre-deux-guerres une génération d’illustrateurs inventifs et talentueux. Les noms de Chas Laborde, Daragnès ou Lucien Boucher ne parlent plus à grand monde aujourd’hui. Brisés dans leur trajectoire par l’effondrement du marché de la bibliophilie, ils ont disparu des mémoires en laissant derrière eux des oeuvres qui surpassent en modernité bien des productions actuelles. Protégé de cette débâcle par sa notoriété, Gus Bofa, qui a perdu une part de lui-même dans le premier conflit mondial, voit des mécanismes familiers se mettre en place. C’est avec amertume et lucidité qu’il dresse le bilan de ce que l’Humanité a à offrir : rien, sinon la peur. Peur de l’autre, peur de l’existence, peur de la finitude. La pulsion morbide est préférée pour guide à la pulsion de vie. Gus Bofa trace au graphite les contours de cette peur immanente à l’Homme, rappelant à ses semblables qu’il ne faut pas confondre évolution et progrès. De ses demi-teintes crépusculaires émerge cette évidence que l’Homme, inéluctablement, ne cessera jamais de jouer avec sa propre destruction. La symphonie de la peur porte depuis près d’un siècle cette prophétie redoutable, vérifiée une première fois en 1940 et toujours valable en ce début du 21e siècle. Au terme de cette partition grandiose et implacable, qui résonne avec notre propre inquiétude, aucun remède ne nous est offert, sinon la beauté consolatrice et le rire désespéré de ces images puissantes.