Jamais, depuis Stan Laurel et Oliver Hardy, on n’avait vu couple de héros aussi mal assorti. Fuzz est un ours en peluche, battu et jeté à la poubelle par un sale gamin. Pluck, coq d’élevage plumé et promis à l’abattage, est en cavale. L’un est aussi craintif et passif que l’autre est arrogant et agressif. Débutée au fond d’une benne à ordures, leur histoire prend la forme d’un roman picaresque, à la façon de L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche ou des Aventures de Huckleberry Finn. Dans leurs nouvelles aventures, Fuzz et Pluck se lancent à la recherche du très convoité arbre à thunes. En chemin, ils rencontrent un couple de pêcheurs minables, une bande de pirates à la petite semaine, la désespérée Despéra et son âne en fleurs, et une famille de vagabonds épris de liberté. Ces personnages improbables gesticulent dans une version hallucinée et moderne d’un Far West sauvage, colonisé par les villes fantômes : l’esquisse d’une Amérique miteuse, dévorée par la spéculation, un pays à la fois familier et étrange auquel le trait acéré de l’auteur donne un air d’évidence. Si l’homme y demeure un loup pour l’homme, aussi bien que pour les bêtes à plume, à poil ou en peluche, la violence reste burlesque. Et le lecteur peut rire des mésaventures de Fuzz et Pluck, comme il rit de celles des vagabonds de Beckett. Ted Stearn, lui aussi, accorde à ses pauvres héros la grâce de survivre au désespoir et de continuer malgré tout.