Inspirées par les ruelles misérables de Tateishi, l’un des quartiers les plus défavorisés de Tokyo, où proliféraient les yakuzas et les prostituées, les histoires de Tadao Tsuge sont dénuées de toute concession. S’attachant à présenter l’existence des marginaux et des exclus telle qu’il l’a observée – et vécue lui-même – ces chroniques abruptes ne cèdent jamais au romantisme. Choisissant de mettre en lumière la noirceur de la société dans laquelle il vit, Tadao Tsuge s’applique à dépeindre sans fard les petits, les laissés-pour-compte et les moins-que-rien.
Entraîneuses, proxénètes, truands, voyeurs, fous et alcooliques trouvent en lui un narrateur honnête, qui retranscrit la fatalité frappant les dépravés et documente la lutte qu’ils doivent mener pour trouver un semblant de sens à leur survie. Il fait défiler devant nous une faune rejetée dans les coulisses du Japon volontariste de l’après-guerre, alors que le pays s’engage à marche forcée vers la reconstruction et le progrès, piétinant sans remords les inutiles et les parasites.
Avec ce premier recueil de nouvelles, Tadao Tsuge nous plonge dans un univers âpre mais tristement représentatif de ce qu’était la vie du peuple tokyoïte dans ces années-là. Son pessimisme évoque parfois la noirceur de Yoshihiro Tatsumi, fondateur du gekiga (littéralement « dessins dramatiques »). Mais s’il partage la colère et les préceptes esthétiques de son aîné, il se fait aussi moins théâtral, plus clinique. De son trait sec et sans affèteries, Tadao Tsuge dresse le portrait impitoyable d’une société japonaise livrée à tous les bouleversements, avançant sur le fil et toujours au bord de la rupture.