"Publié en 1925 aux États-Unis et moins de trois ans plus tard chez Gallimard, Manhattan Transfer possède la force immuable des textes charnières. Par la brutale irruption d'une écriture nerveuse et scintillante où "tout l'asphalte suinte de la lumière", Manhattan Transfer manifesta la rupture avec le courant esthétique des années 20 et ouvrit la voie à la littérature sociale de la décennie suivante. Pour Dos Passos lui-même, sans ce livre où il délaisse l'individu pour mieux en souligner ce qui nie ou broie son existence, "des hommes et des femmes se pressent, écrasés, bousculés, comme des pommes qu'on fait rouler dans un pressoir", sans cette comédie inhumaine, il n'aurait pu écrire USA, son oeuvre majeure. Une trilogie qui comprend Le 42ᵉ parallèle, L'An premier du siècle, La Grosse Galette. [...] Le procédé narratif de Manhattan Transfer utilise plusieurs techniques : montage de séquences rapides où alternent collages d'articles de journaux ou textes de chansons populaires, justaposition d'écritures différentes faisant glisser sans transition le lecteur d'un lieu à un autre, d'un personnage à un autre. La nature même de ce "roman multivision" en justifiait un traitement par l'image. New-yorkais exilé à Paris, Miles Hyman, par la qualité de son graphisme et son extrême attention à la lumière qui baigne ce livre, a travaillé dans le sens même du texte. Son style diffère et alterne selon les rythmes ou les thèmes que développe Dos Passos, créant ainsi une unité dans cette diversité ; la richesse de nuances et la texture des gris modèlent les volumes verticaux d'une architecture imposante qui domine ces silhouettes humaines mais auxquelles Hyman donne un visage. Beau comme la rencontre qui n'était pas fortuite." Bernard Wallet.