Le Procès est un roman sans héros et sans progrès. C'est évidemment aussi un roman sans décor ; les seuls paysages qu'ils admet sont imaginaires. C'est également un roman sans passé : le récit ne revient jamais sur les éléments qui ont précédé l'arrestation de Joseph K. ; celle-ci est un commencement absolu, l'unique sujet du livre. Il est difficile d'imaginer une simplification plus radicale, un dénuement plus grand. Kafka renonce à tous les agréments ordinaires du récit ; il fixe obstinément l'attention du lecteur sur une situation scandaleusement opaque, qui conservera jusqu'à la fin la même opacité. Le narrateur, qui entièrement s'efface, ne l'aide pas à comprendre ; il n'explique pas l'inexplicable. Le lecteur partage le sort de Joseph K. ; il est affecté de la même cécité. Ce qui, à la rigueur, peut piquer parfois sa curiosité, c'est l'aspect énigmatique du récit ; mais l'énigme est à peine un artifice de l'auteur, c'est la forme naturelle de l'opacité. En 1914, quand Kafka écrit Le Procès, aucun écrivain sans doute n'a pratiqué encore une pareille ascèse littéraire. Kafka s'interdit les ruses, les sous-entendus, les allusions, les citations larvées dont s'accompagne volontier le récit romanesque. Götting, lecteur privilégié, avec son trait noir, heurté mais sensuel, nous propose, avec ses images, les personnages, les décors, les cadres de cet univers aux lieux inimaginables.