Après le massif Alec, qui couvrait des décennies de sa propre vie, Eddie Campbell réalise cet ouvrage beaucoup plus modeste en taille, mais tout aussi magistral, consacré à un écrivain d’âge moyen, refoulé sexuel. Ce dramaturge a rencontré le succès en écrivant sur la vie, mais il échoue totalement à vivre la sienne. Le quotidien de ce personnage solitaire est dépeint dans une série de vignettes, un trajet dans l’autobus, l’encaissement d’un chèque, un déjeuner avec son agent, qui en général provoquent chez lui moult fantasmes sexuels. Peu à peu, il se trouve de nouveau en prise avec le monde en se rapprochant de sa famille dont il n’avait plus de nouvelles depuis qu’il avait utilisé l’histoire de ses proches comme matériau pour ses pièces. Il commence à développer des liens affectifs avec son entourage (son frère handicapé mental, l’aide-soignante de celui-ci), ce qui aura un effet délétère sur sa créativité. Eddie Campbell travaille à partir d’une histoire de son scénariste occasionnel, Daren White, et leur collaboration est sans faille. Sur les pages horizontales, comportant chacune deux ou trois cases peintes à l’aquarelle, le duo d’auteurs évite les dialogues et les bulles en faveur d’une narration omnisciente placée au-dessus des dessins, une approche qui reflète le détachement du dramaturge de la société. Une œuvre sensible et drôle mais qui laisse percer une pointe d’amertume.